Fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, quelles conséquences ?



Publié par Henri Poisot le 20 Février 2019

Le 1er février, le président Trump a invoqué la clause de retrait du TFNI (1) (Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire ou INF en anglais) qui enclenche la sortie de son pays du traité dans 6 mois.
L’autre partie au traité, la Fédération de Russie a annoncé par l’intermédiaire de son président quitter elle aussi le traité le 2 février.
L’abandon de ce traité, relique de la Guerre froide, remet en scène de nombreuses questions sécuritaires pour l’Europe et le monde.



Retour sur la crise des euromissiles :

La crise commence en 1977 et signe la fin de la détente, l’URSS annonce le déploiement de nouveaux missiles les RSD-10 Pionner ou SS20 Saber en code OTAN. Ces missiles sont dits a portée intermédiaire a contrario des missiles intercontinentaux, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent atteindre le territoire américain. De nouvelle génération, ils ont un temps de préparation bien plus court grâce à un carburant propergol solide et sont installés sur des tracteurs érecteurs qui fournissent une grande mobilité et furtivité. Ils sont équipés de 3 têtes nucléaires indépendantes de 150 kt.

Le missile remet au goût du jour une possibilité de première frappe pour l’URSS qui, il faut le rappeler, a toujours considéré l’arme nucléaire comme pouvant avoir un usage dans une guerre conventionnelle. Il permet donc aux Soviétiques d’imaginer un nouveau plan de guerre en Europe. Un plan qui prévoit de détruire les forces de l’OTAN en Europe en 7 jours et ainsi, espèrent-ils, de dissocier les Américains et les priver de l’utilisation de leur arsenal nucléaire, en limitant la guerre au territoire européen.  

Cette nouvelle menace va provoquer une vive réponse des Américains soutenus par tous les États de l’OTAN et le président Mitterrand décrira la situation ainsi : « le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est. Je pense qu’il s’agit là d’un rapport inégal ».

Le processus pour aboutir à un traité de désarmement sera long du fait des positions russes sur la force de dissuasion française et l’initiative de défense stratégique (IDS). Finalement, la signature de Gorbatchev est effective le 8 décembre 1987 à New York. Le TFNI prévoit la destruction et l’interdiction de tous les missiles balistiques et de croisières sol-sol qui disposent d’une portée entre 500 et 5000 km.

C’est le premier traité de limitation des arsenaux nucléaires qui ne dispose pas de date d’expiration. Néanmoins en respect de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités et de la souveraineté des États, il dispose d’une clause de retrait dans son l’article XIV.
 
Les dénonciations du traité

C’est en 2014 que l’administration Obama fait part de ses préoccupations envers la Russie qui aurait développé un nouveau missile nommé SSC 8 par le Pentagone, ceci en violation du TFNI. Ce missile serait une évolution du missile de croisière mer-sol Kalibr.
Bien évidemment, la Russie nie les allégations américaines et aujourd’hui encore, les capacités de ce vecteur sont floues, surtout sa portée que les Russes affirment inférieure aux 500 km du traité.

Le débat ressurgit sur la scène politique lorsque le président Trump déclare le 21 octobre dernier : « La Russie n’a pas respecté le traité. Nous allons donc mettre fin à l’accord et développer ces armes ». Le lendemain, il précise son discours : « Tant que les gens ne seront pas revenus à la raison, nous en développerons. […] C’est une menace pour qui vous voulez. Et ça inclut la Chine, et ça inclut la Russie, et ça inclut quiconque veut jouer à ce jeu-là ».

Il est probable que la possible violation du traité par la Russie ne soit pas la motivation principale. Le Pentagone à cessé de considérer la Russie comme une menace majeure et depuis Obama, l’attention des États-Unis se tourne vers le Pacifique et surtout vers la Chine qui elle, n’est pas partie au TFNI.
 
Le cas chinois

La montée en puissance de la Chine fait d’elle le nouveau challenger de la superpuissance américaine. Elle dispose de l’arme nucléaire depuis 1964, mais n’a jamais signé de traités de limitation et garde ses capacités secrètes. Il n’existe aucun chiffre fiable sur la quantité de ses ogives nucléaires ni sur les caractéristiques de ses lanceurs.

Selon les États-Unis 95 % des missiles chinois seraient concernés par un traité comme le TFNI.

La doctrine officielle chinoise est celle « du double non-emploi » : non-emploi en premier et non-emploi sur des pays non nucléaires. La Chine vise aussi officiellement le désarmement nucléaire mondial.

Pourtant des voix dissonantes sont apparues dernièrement. En 2016, dans le Global Times, un tabloïd chinois qui suit la ligne éditoriale du Parti communiste, paraît un éditorial très critique sur la doctrine nucléaire de la Chine. L’auteur analyse notamment comment la Russie utilise son arme nucléaire de façon politique pour garder un statut de puissance internationale. C’est grâce à cela qu’elle a pu annexer la Crimée. La Chine qui proclame sa souveraineté sur plusieurs îles contestées de son littoral pourrait apprendre de l’exemple Russe.

Crise des euromissiles ou nouvelle donne ?

Les ambitions russes ne sont pas affichées. La Russie cherche-t-elle à posséder un nouveau vecteur nucléaire terrestre ? Elle dispose déjà de nombreuses capacités nucléaires à portée intermédiaire qui sont maritimes ou aéroportées. Contrairement au SS-20, le SSC-8 n’a pas été construit pour renverser l’équation stratégique en Europe. Il s’agirait pour la Russie de maintenir des capacités technologiques et étendre son panel tactique et stratégique.

Quelle réponse pour l’Europe ? Amélioration du bouclier antimissile ? Position attentive et pacifique ? Ou, comme l’a évoqué Wolfgang Ischinger, le Président de la conférence de Munich sur la sécurité une « européisation du potentiel nucléaire français » ?

Pour les Américains, le retrait du traité permet le développement de nouveaux missiles avec des visées sur la Chine et la Corée du Nord. Si un missile sol-sol est moins coûteux et plus discret à déployer que les versions mer-sol ou air-sol, le coût politique de telles armes installées sur des territoires alliés (Japon, Philippines) paraît élevé avec une opposition très probable des populations locales.

Les Chinois et Nord-Coréens ne peuvent que considérer le retrait américain comme la confirmation de la politique militaire agressive des États-Unis avec le risque d’augmenter encore les tensions en Asie du Sud-Est et de réduire les chances de pacification de la région.
 
La situation du monde n’est plus la même que celle de 1987, quand les deux puissances de l’époque se sont auto contrainte. Avec l’arrivée sur la scène de nouveaux acteurs nucléaires (Iran, Corée du Nord) et l’évolution en maturité des capacités chinoises, les États-Unis et la Russie n’avaient plus de raison de limiter leurs options militaires.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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